samedi 2 décembre 2017

Amuse-Bec, de Thierry Girandon (Crispation éditions)


Difficile de parler d’un recueil (une douzaine de nouvelles) quand ce dernier – je devrais dire « ces dernières », tant l’ensemble s’avère être d’une rare homogénéité dans le sombre et le tragique – vous a cloué le bec, précisément. Parce que des expériences de lecture comme celle-ci, extrême et sublime, ont la rareté d’une comète venue traverser votre ciel sans crier gare.
David Laurençon, qui a publié le recueil, a dit de Girandon qu’il est sans doute l’un des tous meilleurs novellistes qu’il lui ait été donné de lire. Et on ne peut que le croire !
Sexe et alcool sont omniprésents dans ce recueil, histoire bien sûr de clouer le bec à un quotidien rythmé par la froideur glaciale de nos « tubes cathodiques ». Pas drôle, donc (quoique l’on se surprenne parfois à rire de l’infortune ou du cynisme de certains personnages). Mais d’une efficacité redoutable.
Aussi, le plaisir est-il là, niché dans chacune des phrases du recueil qui se déroulent comme un long ruban noir parsemé d’éclairs foudroyants et poétiques (d’une poésie qui vous consume) : «  Le temps s’était égaré quelques part… L’alcool véhiculait dans l’esprit de ses gonades mille photogrammes pornographiques… L’après-midi s’écoulait ainsi, comme des eaux usées… Le soir, avant de sombrer, ils regardaient ces écrans qui réfractaient leur misère sauf quand la lune s’y reflétait… un bonbon si ténu qu’il fond comme un flocon de neige venu par mégarde d’un autre hémisphère… Dans la clarté polaire de la nuit, les flocons étaient noirs, et regarder au-delà des étoiles piquait les yeux… Par un trou du toit, il voyait une belle lune ronde et blanche comme le cul d’une tasse en porcelaine, et une chiée d’étoiles qui semblait la décoration kitsch d’une assiette… « .

Girandon nous dépeint par petites touches subtiles (on pense parfois à Carver), un monde à l’agonie, dématérialisé, dans lequel la misère court de rues en rues, de terrains vagues en terrains vagues. Chaque personnage – Louise, Marie, Bernard, Raoul… semblent s’être égarés dans un monde « de paillettes », hantent ces nouvelles comme des fantômes hystériques rêvant leur propre mort et la nôtre. Prélude à un dernier tour de piste « avant l’abêtissement final de l’humanité (…) penchée au-dessus du gouffre des tablettes numériques… »