mardi 11 novembre 2014

PLANETE DES OMBRES, de Christophe Lartas (aux Editions de l'Abat-Jour)

A la lecture de ce roman - le travail sur la langue y est quasi orgiaque -, l'on comprend très vite que les monstres de Lartas sont, par leur cruauté sans limite – nous y sommes dépecés, démembrés, ratatinés, sodomisés, parqués dans des camps -, nous ressemblent comme deux gouttes d’eau. 
Le malaise que l’on éprouve, une fois entré dans ce qui pourrait s’apparenter à un musée des horreurs superbement bien rendu – les descriptions des scènes de lynchage et autres énucléations y fourmillent de détails que l’on pourrait, ayant fait abstraction de la cruauté qui s'en dégage, qualifier de croustillant - et l’on pense dés lors à Dante et à sa Divine comédie – réside donc dans ce postulat, rien ne naissant de rien. Christophe Lartas nous tend un miroir dans lequel nous nous reconnaissons dans notre capacité à enfanter des créatures à la toute puissance effroyable, prompte à détruire et à réduire en bouillie tout ce qui vit et bouge.
Pour autant, au regard de notre insatiable besoin narcissique de nous penser tels que des créatures d’exception dans un univers dont nous serions la seule et unique mesure, il y a la révélation d’un monde pluriel (les titans et autres monstruosités biologiques) dont l’infinie diversité donne le vertige, fait prendre conscience de ce que l’Homme est! A celles qui ont été provoquées par Copernic, Darwin puis Freud, s’ajoute une autre blessure qui lui est violemment infligée : quand il se croyait au-dessus de tout, il n’est rien de plus qu’un atome dans l’immensité !
Et nul n’y échappe. Le tableau est d’une noirceur absolue. Femmes, enfants, artistes, philosophes, chercheurs, des plus anciens aux plus modernes, asservis ou rebelles, participent, par leurs œuvres et leurs actes, de cette sombre débâcle cosmique. Le Mal, nous dit le narrateur, est consubstantiel à la vie, à toute création ainsi qu’à ses auteurs, voués, pour cette raison, à disparaître dans la « vacuité du temps », à mourir comme ils ont vécu, à savoir « inconscients et aveugles »… Ne survivent à ce carnage, le notre et celui des traces que nous aurons laissées derrière nous comme autant d’ombres insignifiantes, qu’un livre, donc, et son narrateur, un narrateur « désubstancié », éclairé et éclairant (un être de pure lumière, un pacificateur ?), qui pages après pages nous assène la preuve de notre hideur : nous sommes « mauvais », tout comme l’est tout ce que nous touchons ou créons, et comme le sont également les dieux de notre triste panthéon ! Reste la question de la responsabilité. L’Homme avait-il la liberté, le choix moral d’être autre ?...
La seule bonne nouvelle de ce roman, c’est que, quoiqu’il advienne, il y aura toujours quelqu’un, quelque part, sous une forme ou une autre, pour raconter et écrire des histoires – ici la notre, ce qui démontre une fois de plus que la littérature nous est aussi indispensable que respirer.

Roman philosophique, moraliste ?, donc, qui interroge sur la place de l’Homme à l’échelle cosmique, sur sa nature (l’homme est-il par nature un être moral?). Si l’on en croit le narrateur, il n’a guère plus de valeur ontologique qu’un grain de poussière ou que l’infime partie d’une goutte d’eau dans le plus vaste des océans qui a donc pour seul mérite celui d’exister et qui, de fait, ne saurait avoir de conscience morale ! Demeure ce texte surprenant, parfois difficile de lecture de par sa noirceur absolue, riche comme je le disais, post-apocalyptique, dont on peut penser raisonnablement qu’il aura été composé à une époque largement postérieure à la notre, et aura donc échappé au carnage final, à l’effacement définitif, et donc au pire des scénarios qui, pour nous, puissent s’imaginer…

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